1913 : L’affaire de Saverne

Le 7 novembre 1913 à Saverne, la population manifeste devant le domicile de Günther von Forstner, lieutenant du 99e régiment d’infanterie, aux cris de « Sale Prussien ! », « Voilà dix marks pour la peau d’un Alsacien ! »

Le lieutenant von Forstner dans les rues de Saverne, protégé des enfants par une escorte.

La veille, deux journaux locaux l’Elsässer et le Zaberner Anzeiger ont rapporté dans leur édition un fait divers caractéristique des brimades quotidiennes que subissait la population alsacienne de la part des autorités impériales allemandes. Le lieutenant von Forstner apprenant qu’un soldat prussien avait pris deux mois de prison pour avoir poignardé un Alsacien, lui aurait apporté son soutient et aurait déclaré : « Ach ! Ce n’est pas moi qui t’aurais puni pour ce coup là. Au contraire, pour chacun de ces sales Wackes (voyous) que tu abattras, je t’en donnerai 10 marks. » Suivi par le sous-officier Hoefflich qui aurait ajouté : « Et moi, je t’en donnerai trois de plus. » Les deux officiers ont ensuite ordonné aux recrues alsaciennes de hurler : « Je suis un Wacke, nous sommes des Wackes ! » « Wackes » voulant dire « voyou » !

Carte envoyée le 29 novembre 1913 de Saverne (Zabern) à Westhalten (68)

La même carte. Le texte : Mes chers, Louis ne peux venir demain, nous sommes pour ainsi dire en état de siège, il nous est défendu de rire et de stationner en ville. Au fond la chose commence à devenir des plus graves. Louis et moi avons fait hier un tour en ville. Il ne manquait pas beaucoup que nous soyons mis au dépôt. Le reste par Louis verbalement.

Suivent 3 semaines d’émeutes, qui sont rapportées dans la presse européenne.

Les provocations prussiennes envers la population de Saverne se font de plus en plus durs et de plus en plus régulières.

Dans son édition du 15 novembre 1913, l’Elsässer révèle que, s’adressant à ses hommes, von Forstner a affirmé : « Pour ma part, je vous autorise à chier sur le drapeau français. » On frôle l’incident diplomatique. Le journal est perquisitionné par l’armée.

Berlin en signe d’apaisement décide de déplacer le 99e régiment à Bitche. Quant à von Forstner, il sera jugé et condamné à 43 jours de prison pour avoir frappé un infirme à coups de sabre. Il sera absout en appel.

Cet épisode de l’histoire de l’Alsace, est rappelé dans le livre « Analyse de l’Alsace », collection les Essaies.

En voici un extrait :

« La protestation contre le prussianisme s’exprimait [en Alsace] avec une vigueur tout plébéienne, en empruntant les formes habituelles d’action du prolétariat, en premier la forme de la manifestation de rue. Tels furent, en 1913, les traits caractéristique de la fameuse affaire de Saverne, à l’occasion de laquelle les Alsaciens montrèrent au monde entier avec quelle résolution leur sentiment démocratique et l’énergie populaire au droit du poing, à la force cynique d’une caste militaire insolente, au prussianisme odieux.

En vain l’historiographie cléricale et réactionnaire de l’Alsace s’efforce-t-elle, aujourd’hui encore, de faire croire que n’importe quel homme d’état un peu habile aurait pu régler les « incidents » sans bruit et sans répercussions, et qu’ils ont dû leur ampleur qu’au défaut de tact des autorités. L’affaire de Saverne fut en réalité une grandiose vérification de la tradition démocratique qui vit au cœur du peuple alsacien.

C’est ce que Lénine devait mettre en lumière, dans un article qu’il publia le lendemain des principales échauffourées, le 29 novembre 1913. Cet article, intitulé « Saverne » et paru dans le journal Za Pravdou (Pour la vérité), figure au tome XIX de ses Œuvres. On y lit : « Il est des « cas » en politique où la nature d’un régime donné se révèle, semble-t-il, tout à coup, avec une force et une clarté extraordinaire, à propos d’un incident relativement minime. Saverne est une petite ville d’Alsace. Il y a plus de 40 ans que l’Alsace a été arrachée à la France par les Prussiens victorieux (malgré les protestations ardentes d’un seul parti d’Allemagne, celui des social-démocrates). Depuis plus de quarante ans, la population française de l’Alsace est « germanisée » de force et mise coûte que coûte au « carcan » de cette discipline monarchique et prussienne, digne d’adjudants et de bureaucrates, qui est connue sous le nom de « culture allemande.

Et voici qu’un noble prussien, le jeune officier Forstner, a fait déborder le vase. Il a grossièrement injurié la population alsacienne…

Tout ce qui s’était accumulé au fond des cœurs depuis des dizaines d’années d’oppression, de tracasserie et d’offense, depuis des dizaines d’années de prussianisation forcée, est remonté à la surface. Ce n’est pas la culture française qui s’est insurgée contre l’allemande : l’affaire Dreyfus a montré dans le passé qu’il y a, en France autant qu’ailleurs, une clique militaire grossière, capable de tout en fait de sauvagerie, de barbarie, de violence et de crime. Non, ce qui s’est insurgé, ce n’est pas la culture française contre la culture allemande ; c’est contre l’absolutisme, la démocratie éduquée par la série des révolutions française.

La tempête dans la population, l’irritation contre les officiers prussiens, les moqueries à leur égard d’une foule française fière et éprise de liberté, la rage de la soldatesque prussienne, les arrestations et les matraquages arbitraires du public : tout cela a fait naître à Saverne (puis dans presque toute l’Alsace) l’« anarchie », comme disent les journaux bourgeois… »

Et Lénine, rappelant la solidité apparente du Reich bismarckiens en 1871, concluait par ces mots : « … Les conditions ont changé, la situation économique a changé, tous les piliers sur lesquels reposait la « tranquille » domination du sabre et des hobereaux prussiens sont minés. En dépit de sa volonté, la bourgeoisie est entraînée par le cours des choses vers une crise politique profonde… »

La caste militaire et féodale, la grande bourgeoisie d’Allemagne crurent éviter cette crise en précipitant la première guerre mondiale, qui était le fruit des contradictions de tout le système impérialiste international. »
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